vendredi 13 janvier 2012

Le logement, son adaptation face au vieillissement (janvier 2012)


Intervention au Sénat (Association APIL) le 11 janvier 2012 de JP BULTEZ
(Vice Président AGE Plateforme Europe)
L’adaptation du logement aux dépendances : de quoi parle-t-on ? Qui en parle ?
Cette question est de plus en plus présente dans l’actualité européenne, du fait de la montée d’une société vieillissante et d’un accroissement du nombre de personnes dépendantes. Tout cela est connu, chiffré.
Je resterai sur le cas de figure le plus « massif »  à traiter, celui des personnes qui veulent rester à leur domicile (seules 15% des personnes de plus de 85 ans vont en EHPAD).
1 – Parler d’adaptation, oui, on en parle :
-       Dans le cadre de la réflexion politique sur la dépendance et sa prise en charge, menée au 1° semestre 2011, le groupe présidé par Annick Morel, a en France, engagé une réflexion de fond, incluant les questions de logement. Le Sénateur André TRILLARD a lui même publié un rapport en juin 2011  sur la prévention de la dépendance des personnes âgées. Un chapitre entier est consacré au maintien à domicile et à l’adaptation du logement (page 46 à 61). Muriel BOULMIER a commis en 2010 un important rapport sur le sujet. Ce sujet « monte ».
-       Aspect peu mentionné, celui des personnes retraitées qui sont aussi des électeurs, donc influençant les politiques publiques à l’avenir.
-       Essentiellement sous l’angle d’adaptations techniques, sur le bâti, les équipements, la vie quotidienne à améliorer : les ouvrages, colloques ont décortiqué cette approche depuis plusieurs années. L’approche par la diversité, dans les quartiers, et celle de la cohésion sociale, poussent à maintenir un tissu intergénérationnel dans les territoires et non à ségréguer les populations.
-       Cela évolue peu à peu vers le fait que les logements soient mieux conçus, mieux organisés, plus conformes aux besoins, avec de la domotique, des approches ergonomiques, le « design for all ».
-       Plus récemment, la question de l’énergie est venue s’installer dans le débat : de quelles adaptations faut-il parler en matière d’énergie ? Car cette part du budget devient considérable ! Que cela concerne les personnes dépendantes ou non ! Des retraités nous disent « manger dans le noir », pour ne pas consommer d’électricité.
-       Le fait de rester chez soi de longues années avec des handicaps et dépendances et de souhaiter y mourir (ce « territoire intime » selon le Docteur Pierre Guillet), conduit à associer des équipements et des services de soin et de santé : d’où la prise en compte des techniques de télémédecine, télésurveillance, … dans des logements équipés à cet effet.

Au fond on passe du logement à l’habitat, au quartier, à l’environnement. Car si le logement est bien adapté, à quoi cela sert-il, si le quartier reste inaccessible, comme une montagne à franchir (escaliers et ascenseurs trop étroits, accessibilité des lieux publics).
De fait, des niveaux d’adaptation s’affichent : logement accessible, logement adapté (de base), logement très adapté (Département du Rhône + Vivre chez soi).
Enfin, les services de proximité, commerces et transports en commun, les équipements culturels et sportifs restent essentiels et renvoient les politiques publiques à leurs rôles de garants, notamment à cet égard, pour que les équilibres du « vivre ensemble » soient préservés.
L’OMS et son « réseau des villes amies des ainés » (un label) donne le ton des adaptations à faire pour rendre la ville « user friendly ». Peu de villes en France en font partie.

2 - Le logement est le lieu du « foyer » :
-       Adapter le logement, cela peut-il se faire SANS les personnes qui y vivent ? Assurément NON. Mais s’agit-il seulement d’équipements domotiques, électroniques et autres ? Pour certains, cela est déjà pas mal de s’en préoccuper, dedans et dehors le logement.
-       Mais en écoutant les besoins, la parole des personnes, on ressent une autre demande, celle de rester chez « soi », parce que le chez « soi » est « son foyer ».
-       Quelles que soient  les situations, tant que l’on peut rester chez soi, éviter la « maison de retraite » (parfois lointaine), c’est parce que le logement est et reste le « foyer », ce lieu où l’on a tissé des liens, mêlant ainsi indissolublement lieux et liens (travaux de la sociologue Bernadette Puijalon)
-       De là ces expériences vécues de voir un homme ou une femme seul(e) rester dans un appartement trop grand, pour pouvoir, même si c’est peu probable, continuer à accueillir chez soi, poursuivre un rôle d’hospitalité, qui finalement traduit le fait que l’on « reste maitre chez soi »(Dominique Argoud). Les expériences de logements intergénérationnels (étudiants et personnes âgées) en sont une preuve. De même, la coexistence de 4 voire 5 générations vivantes ensemble conforte cette approche. Et le rôle des aidants devenant crucial, une place disponible est souvent bienvenue dans le logement.

Il s’agit donc d’adapter non seulement un logement mais un « foyer » aux dépendances, sans rompre les liens tissés depuis des décennies.
3 – Un foyer que l’on adapte ne doit pas voir se briser les LIENS qui y ont été créés, mais conduire à créer d’autres liens :
-       Investir dans le bâti, le côté technique, accessible, faciliter la vie quotidienne, cela reste évident. Construire dans du neuf des logements habitables par des personnes à mobilité réduite, avec des dépendances ou pertes d’autonomie, profitant ainsi à tous les groupes d’âge.
-       Mais il faut investir la demande des personnes, leurs besoins, leurs attentes, ce qui rend vivants et en relation aux autres. Donc cela passe par une analyse individuelle des situations, une écoute « personnelle » de chaque personne, voire de ses entourages (aidants familiaux, voisinages, amis). C’est dans ce cadre que les projets de logements intergénérationnels sont nés.
Des exemples récents montrent les cohérences :
§  aux Essarts le Roi : les 88 logements sociaux intergénérationnels de type PLS par la Société HLM Aximo, alliant les concepts d’habitat pour un développement durable, loyers de 445 Euros pour un studio de 38 M2, équipements pour des économies d’énergie, et accès à une gamme de services par prestataires, complété d’un espace commun accessible à tous les locataires : http://www.senioractu.com/Essarts-le-Roi-un-programme-de-logements-sociaux-intergenerationnels_a14415.html?preaction=nl&id=3759892&idnl=101880&

§  la Villa Sully à Annecy Seynod : 90 appartements au cœur de la ville, avec conciergerie, services au pied de l’immeuble : http://www.senioractu.com/Well-Dom-Concept-GDP-Vendome-lance-la-commercialisation-de-la-Villa-Sully-a-Annecy-Seynod_a14413.html?preaction=nl&id=3759892&idnl=101880&
-       Pour les personnes très dépendantes, et souffrant de la maladie d’Alzheimer, le dispositif des MAIA reste le bon exemple après deux ans d’expérimentation de ce travail inter réseaux et en partenariat, centré sur le soin et la santé : créer et entretenir des liens reste essentiel.

La tentation pourrait être de « remplacer » les liens existants (fruit d’une histoire sociale) par des interventions de prestataires, que l’on va instituer en « plateforme », la plus à proximité, au lieu de les conjuguer.
4 – Passer à une adaptation raisonnée, pratique, « à la demande » pour « rester autonome », sans rompre les liens :
-       En fait, la personne confrontée à de nécessaires adaptations se trouve face à des dispositifs qu’il faut atteindre :
o   ANAH
o   CNAV/MSA/CNSA
o   Fonds sociaux des caisses de retraite AGIRC ARCOO (plan 2010_2013)
o   Aides municipales ou des communautés urbaines
o   Aides privées, caritatives, …
-       Les dossiers sont parfois simples, mais longs à faire aboutir eet il faut toujours DEMANDER.
-       Un processus de « labellisation » des adaptations peut aussi apporter des « garanties » quant au respect des personnes, des professionnels impliqués, des financeurs.
-       Mais un jour, l’on meurt, et le logement qui a été adapté doit rester « dédié » à des situations humaines comparables.

Un accompagnement est nécessaire, et doit se personnaliser pour mesurer ce qui convient d’être fait : est-ce par les institutions existantes (CLIC, CCAS, Guichets SS,) ou faut-il établir un guichet interinstitutionnel dédié ?
L’exemple des suites de la canicule est à méditer, car les municipalités ont mis en place des services de soutien auprès des publics à risques. Et cela marche !
5 – Que retirer des exemples et stratégies proches, en Europe ?
-       Dans l’Union Européenne UE 2020, s’il existe un chantier autour de la réduction de la pauvreté, rien de semblable pour le logement, qui reste une compétence nationale.
-       A travers toute l’Europe, l’orientation commune est bien celle du maintien à domicile le plus longtemps possible.
o   Le concept est celui du « logement inclusif » (inclusive housing), durable et adaptable tout au long de la vie.
o   Au Royaume Uni (stratégie depuis 2008 « life time homes, life time neighbourhoods »), au Danemark, en Suède, c’est le principe du « guichet unique » qui a été retenu, sous l’obédience des villes pour couvrir ces besoins d’adaptations et d’articulation avec les aspects de santé.
o   En Suède, un « social security act » stipule le droit des personnes âgées ayant des besoins particuliers d’obtenir des logements adaptés et accessibles ou une aide à domicile.
o   En Tchéquie, tous les nouveaux bâtiments doivent être « accessibles » depuis 2001. Les réponses concrètes méritent le détour :
o   La réponse par le « Béguinage », haut lieu culturel des pays flamands où l’on vit, en bon voisinage, sans souci matériel, avec une protection, une sécurité.
o   La réponse par le logement communautaire là où des familles (isolé ou couples) vivent et partagent des tâches ensemble, gardant un espace privatif. L’architecture a été conçue à cet effet (Pays Bas et Allemagne).

-       La France hésite entre un « guichet unique » et une « coordination des acteurs » dont l’un serait désigné chef de file. Car c’est bien d’une politique coordonnée et globale qu’il s’agit alliant décisions et actions rapides et proportionnées. L’usager (si tant est que l’on puisse utiliser ce terme) ne peut qu’être au centre d’une co construction de la solution.
-       Exemple concret : L’exemple des digicodes, illisibles, trop haut placés, peut sembler marginal, et pourtant ! Qui est consulté sur ces aspects pratiques ?
-       L’expérience d’articulation entre une autorité locale/régionale (le Conseil Général) et une administration comme l’ANAH laisse présager de devoir établir des protocoles multiples. Les dispositifs en place des PDALPD, et des FSL, déjà co-pilotés entre Conseils Généraux et Etat pourraient être regardés aussi. De plus, les niveaux des collectivités locales sont en débat, malgré la loi de réorganisation votée. Des expérimentations seraient utiles, car l’enjeu est majeur.
6 – Quelle réponse de masse apporter dans une société vieillissante ?
-       Faut-il des programmes de diagnostics par territoire d’action (mais lequel, sinon la commune ou l’intercommunalité) pour mesurer le nombre de « foyers » concernés ? Mais derrière le diagnostic, la situation économique des personnes est à examiner, car même avec des aides publiques il y a un « reste à charge » que l’on ne peut occulter ? L’accès aux prêts ne doit pas conduire au surendettement quand il s’agit de rendre son logement adapté, et accessible. Mais l’accès aux prêts (pour des sommes de 3000-5000 euros) est-il possible quand on vit avec le « minimum vieillesse » ? Outre que les banques ne prêtent pas à ces personnes.
-       L’accès aux opérateurs internet doit s’adapter aux moyens financiers des ainés et chercher des outils « design for all ».
-       Faut-il revisiter les dispositifs de planification (SCOT, PLU, PLH, PDALPD, ARS et schéma de prévention, de soins gérontologiques, …) et voir comment le vieillissement de la population y  est intégré ? A la fois, dans le logement et dans l’environnement, pour fluidifier les mobilités de tous les citoyens. Peut-on autoriser des programmes de logements sans réseaux de transports publics de proximité ?
-       Faut-il diligenter un organisme central pour passer du diagnostic à l’action ?
-       D’où la question de la gouvernance d’un tel processus d’adaptation des logements et des quartiers à ces réalités de personnes vieillissantes. Mais il faut aussi une vision du développement d’un plan et d’un cadrage coordonné, flexible, mais durable.
L’enjeu est colossal, toute la société est à mobiliser. Le thème de l’année européenne 2012 centré sur la solidarité entre les générations sera une belle opportunité pour que croisse cette approche d’une solidarité, constitutive de la cohésion sociale et territoriale. Notamment, le projet d’une UE « amie des ainés » et d’un réseau des Maires des « villes amies des ainés » semble constituer une avancée conceptuelle, qu’il faudra suivre et accompagner.
Hors propos :Les programmes sont multiples et non coordonnés :
-       améliorer son logement avec économie d’énergie (programme Habiter Mieux de l’ANAH pour les propriétaires occupants modestes)
-       des conseils généraux réduisent voire suppriment les primes d’adaptation des logements au profit de primes pour les économie d’énergie
-       au niveau régional, les Conseils régionaux privilégient les économies d’énergie ?
13/01/12

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