Intervention au Sénat
(Association APIL) le 11 janvier 2012 de JP BULTEZ
(Vice Président AGE
Plateforme Europe)
L’adaptation du logement aux
dépendances : de quoi parle-t-on ? Qui en parle ?
Cette question est de plus en plus présente dans l’actualité
européenne, du fait de la montée d’une société vieillissante et d’un
accroissement du nombre de personnes dépendantes. Tout cela est connu, chiffré.
Je resterai sur le cas de figure le plus « massif »
à traiter, celui des personnes qui veulent rester à leur domicile (seules 15%
des personnes de plus de 85 ans vont en EHPAD).
1 – Parler
d’adaptation, oui, on en parle :
-
Dans le cadre de la réflexion politique sur la
dépendance et sa prise en charge, menée au 1° semestre 2011, le groupe présidé
par Annick Morel, a en France, engagé une réflexion de fond, incluant les
questions de logement. Le Sénateur André TRILLARD a lui même publié un rapport
en juin 2011 sur la prévention de la
dépendance des personnes âgées. Un chapitre entier est consacré au maintien à
domicile et à l’adaptation du logement (page 46 à 61). Muriel BOULMIER a commis
en 2010 un important rapport sur le sujet. Ce sujet « monte ».
-
Aspect peu mentionné, celui des personnes
retraitées qui sont aussi des électeurs, donc influençant les politiques publiques
à l’avenir.
-
Essentiellement sous l’angle d’adaptations
techniques, sur le bâti, les équipements, la vie quotidienne à améliorer :
les ouvrages, colloques ont décortiqué cette approche depuis plusieurs années.
L’approche par la diversité, dans les quartiers, et celle de la cohésion sociale, poussent à maintenir un tissu
intergénérationnel dans les territoires et non à ségréguer les populations.
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Cela évolue peu à peu vers le fait que les logements soient mieux conçus,
mieux organisés, plus conformes aux besoins, avec de la domotique, des
approches ergonomiques, le « design for all ».
-
Plus récemment, la question de l’énergie est
venue s’installer dans le débat : de quelles adaptations faut-il parler en
matière d’énergie ? Car cette part du budget devient considérable !
Que cela concerne les personnes dépendantes ou non ! Des retraités nous
disent « manger dans le noir », pour ne pas consommer d’électricité.
-
Le fait de rester chez soi de longues années
avec des handicaps et dépendances et de souhaiter y mourir (ce
« territoire intime » selon le Docteur Pierre Guillet), conduit à
associer des équipements et des services de soin et de santé : d’où la
prise en compte des techniques de télémédecine, télésurveillance, … dans des
logements équipés à cet effet.
Au fond on passe
du logement à l’habitat, au quartier, à l’environnement. Car si le logement
est bien adapté, à quoi cela sert-il, si le quartier reste inaccessible, comme
une montagne à franchir (escaliers et ascenseurs trop étroits, accessibilité
des lieux publics).
De fait, des niveaux d’adaptation s’affichent :
logement accessible, logement adapté (de base), logement très adapté
(Département du Rhône + Vivre chez soi).
Enfin, les services
de proximité, commerces et transports en commun, les équipements culturels
et sportifs restent essentiels et renvoient les politiques publiques à leurs
rôles de garants, notamment à cet égard, pour que les équilibres du
« vivre ensemble » soient préservés.
L’OMS et son « réseau des villes amies des
ainés » (un label) donne le ton des adaptations à faire pour rendre la
ville « user friendly ». Peu de villes en France en font partie.
2 - Le logement
est le lieu du « foyer » :
-
Adapter le logement, cela peut-il se faire SANS
les personnes qui y vivent ? Assurément NON. Mais s’agit-il seulement
d’équipements domotiques, électroniques et autres ? Pour certains, cela
est déjà pas mal de s’en préoccuper, dedans et dehors le logement.
-
Mais en écoutant les besoins, la parole des
personnes, on ressent une autre demande, celle de rester chez
« soi », parce que le chez « soi » est « son
foyer ».
-
Quelles que soient les situations, tant que l’on peut rester
chez soi, éviter la « maison de retraite » (parfois lointaine), c’est
parce que le logement est et reste le « foyer », ce lieu où l’on a
tissé des liens, mêlant ainsi indissolublement lieux et liens (travaux de la sociologue Bernadette Puijalon)
-
De là ces expériences vécues de voir un homme ou
une femme seul(e) rester dans un appartement trop grand, pour pouvoir, même si
c’est peu probable, continuer à accueillir chez soi, poursuivre un rôle
d’hospitalité, qui finalement traduit le fait que l’on « reste maitre chez
soi »(Dominique Argoud). Les expériences de logements intergénérationnels
(étudiants et personnes âgées) en sont une preuve. De même, la coexistence de 4
voire 5 générations vivantes ensemble conforte cette approche. Et le rôle des
aidants devenant crucial, une place disponible est souvent bienvenue dans le
logement.
Il s’agit donc d’adapter
non seulement un logement mais un « foyer » aux dépendances, sans
rompre les liens tissés depuis des décennies.
3 – Un foyer que
l’on adapte ne doit pas voir se briser les LIENS qui y ont été créés, mais
conduire à créer d’autres liens :
-
Investir dans le bâti, le côté technique, accessible,
faciliter la vie quotidienne, cela reste évident. Construire dans du neuf des
logements habitables par des personnes à mobilité réduite, avec des dépendances
ou pertes d’autonomie, profitant ainsi à tous les groupes d’âge.
-
Mais il faut investir la demande des personnes,
leurs besoins, leurs attentes, ce qui rend vivants et en relation aux autres.
Donc cela passe par une analyse individuelle des situations, une écoute « personnelle » de
chaque personne, voire de ses entourages (aidants familiaux, voisinages,
amis). C’est dans ce cadre que les projets de logements intergénérationnels sont nés.
Des exemples
récents montrent les cohérences :
§
aux Essarts le Roi : les 88
logements sociaux intergénérationnels de type PLS par la Société HLM Aximo,
alliant les concepts d’habitat pour un développement durable, loyers de 445
Euros pour un studio de 38 M2, équipements pour des économies d’énergie, et
accès à une gamme de services par prestataires, complété d’un espace commun
accessible à tous les locataires : http://www.senioractu.com/Essarts-le-Roi-un-programme-de-logements-sociaux-intergenerationnels_a14415.html?preaction=nl&id=3759892&idnl=101880&
§
la Villa Sully à Annecy Seynod : 90
appartements au cœur de la ville, avec conciergerie, services au pied de
l’immeuble : http://www.senioractu.com/Well-Dom-Concept-GDP-Vendome-lance-la-commercialisation-de-la-Villa-Sully-a-Annecy-Seynod_a14413.html?preaction=nl&id=3759892&idnl=101880&
-
Pour les personnes très dépendantes, et
souffrant de la maladie d’Alzheimer, le dispositif des MAIA reste le bon
exemple après deux ans d’expérimentation de ce travail inter réseaux et en
partenariat, centré sur le soin et la santé : créer et entretenir des
liens reste essentiel.
La tentation pourrait être de « remplacer »
les liens existants (fruit d’une histoire sociale) par des interventions de
prestataires, que l’on va instituer en « plateforme », la plus à
proximité, au lieu de les conjuguer.
4 – Passer à une
adaptation raisonnée, pratique, « à la demande » pour « rester
autonome », sans rompre les liens :
-
En fait, la personne confrontée à de nécessaires
adaptations se trouve face à des dispositifs qu’il faut atteindre :
o
ANAH
o
CNAV/MSA/CNSA
o
Fonds sociaux des caisses de retraite AGIRC
ARCOO (plan 2010_2013)
o
Aides municipales ou des communautés urbaines
o
Aides privées, caritatives, …
-
Les dossiers sont parfois simples, mais longs à faire
aboutir eet il faut toujours DEMANDER.
-
Un processus de « labellisation » des
adaptations peut aussi apporter des « garanties » quant au respect
des personnes, des professionnels impliqués, des financeurs.
-
Mais un jour, l’on meurt, et le logement qui a
été adapté doit rester « dédié » à des situations humaines
comparables.
Un
accompagnement est nécessaire, et doit se personnaliser pour mesurer ce qui
convient d’être fait : est-ce par les institutions existantes (CLIC, CCAS,
Guichets SS,) ou faut-il établir un guichet interinstitutionnel dédié ?
L’exemple des suites de la canicule est à méditer, car
les municipalités ont mis en place des services de soutien auprès des publics à
risques. Et cela marche !
5 – Que retirer
des exemples et stratégies proches, en Europe ?
-
Dans l’Union Européenne UE 2020, s’il existe un
chantier autour de la réduction de la pauvreté, rien de semblable pour le
logement, qui reste une compétence nationale.
-
A travers toute l’Europe, l’orientation commune
est bien celle du maintien à domicile le plus longtemps possible.
o
Le concept est celui du « logement
inclusif » (inclusive housing), durable et adaptable tout au long de la
vie.
o
Au Royaume Uni (stratégie depuis 2008
« life time homes, life time neighbourhoods »), au Danemark, en
Suède, c’est le principe du « guichet unique » qui a été retenu, sous
l’obédience des villes pour couvrir ces besoins d’adaptations et d’articulation
avec les aspects de santé.
o
En Suède, un « social security act »
stipule le droit des personnes âgées ayant des besoins particuliers d’obtenir
des logements adaptés et accessibles ou une aide à domicile.
o
En Tchéquie, tous les nouveaux bâtiments doivent
être « accessibles » depuis 2001. Les réponses concrètes méritent le
détour :
o
La réponse par le « Béguinage », haut
lieu culturel des pays flamands où l’on vit, en bon voisinage, sans souci
matériel, avec une protection, une sécurité.
o
La réponse par le logement communautaire là où
des familles (isolé ou couples) vivent et partagent des tâches ensemble,
gardant un espace privatif. L’architecture a été conçue à cet effet (Pays Bas
et Allemagne).
-
La France
hésite entre un « guichet unique » et une « coordination des
acteurs » dont l’un serait désigné chef de file. Car c’est bien d’une
politique coordonnée et globale qu’il s’agit alliant décisions et actions
rapides et proportionnées. L’usager (si tant est que l’on puisse utiliser ce
terme) ne peut qu’être au centre d’une co construction de la solution.
-
Exemple
concret : L’exemple des digicodes, illisibles, trop haut placés, peut
sembler marginal, et pourtant ! Qui est consulté sur ces aspects
pratiques ?
-
L’expérience
d’articulation entre une autorité locale/régionale (le Conseil Général) et une
administration comme l’ANAH laisse présager de devoir établir des protocoles
multiples. Les dispositifs en place des PDALPD, et des FSL, déjà co-pilotés
entre Conseils Généraux et Etat pourraient être regardés aussi. De plus, les
niveaux des collectivités locales sont en débat, malgré la loi de
réorganisation votée. Des expérimentations seraient utiles, car l’enjeu est
majeur.
6 – Quelle réponse
de masse apporter dans une société vieillissante ?
-
Faut-il des programmes de diagnostics par
territoire d’action (mais lequel, sinon la commune ou l’intercommunalité) pour
mesurer le nombre de « foyers » concernés ? Mais derrière le
diagnostic, la situation économique des personnes est à examiner, car même avec
des aides publiques il y a un « reste à charge » que l’on ne peut
occulter ? L’accès aux prêts ne doit pas conduire au surendettement quand
il s’agit de rendre son logement adapté, et accessible. Mais l’accès aux prêts
(pour des sommes de 3000-5000 euros) est-il possible quand on vit avec le
« minimum vieillesse » ? Outre que les banques ne prêtent pas à
ces personnes.
-
L’accès aux opérateurs internet doit s’adapter
aux moyens financiers des ainés et chercher des outils « design for
all ».
-
Faut-il revisiter les dispositifs de
planification (SCOT, PLU, PLH, PDALPD, ARS et schéma de prévention, de soins
gérontologiques, …) et voir comment le vieillissement de la population y est intégré ? A la fois, dans le
logement et dans l’environnement, pour fluidifier les mobilités de tous les
citoyens. Peut-on autoriser des programmes de logements sans réseaux de
transports publics de proximité ?
-
Faut-il diligenter un organisme central pour
passer du diagnostic à l’action ?
-
D’où la question de la gouvernance d’un tel
processus d’adaptation des logements et des quartiers à ces réalités de
personnes vieillissantes. Mais il faut aussi une vision du développement d’un plan et d’un cadrage coordonné,
flexible, mais durable.
L’enjeu est colossal, toute la société est à mobiliser. Le
thème de l’année européenne 2012 centré sur la solidarité entre les générations
sera une belle opportunité pour que croisse cette approche d’une solidarité,
constitutive de la cohésion sociale et territoriale. Notamment, le projet d’une UE « amie des ainés »
et d’un réseau des Maires des « villes amies des ainés » semble
constituer une avancée conceptuelle, qu’il faudra suivre et accompagner.
Hors propos :Les programmes sont multiples et
non coordonnés :
-
améliorer son logement avec économie d’énergie
(programme Habiter Mieux de l’ANAH pour les propriétaires occupants modestes)
-
des conseils généraux réduisent voire suppriment
les primes d’adaptation des logements au profit de primes pour les économie
d’énergie
-
au niveau régional, les Conseils régionaux privilégient
les économies d’énergie ?
13/01/12