France
European
Anti-Poverty Network
La
lutte contre la précarité énergétique
un
nouvel enjeu social
Il est difficile, voire impossible,
de ne pas être confronté directement ou indirectement à la précarité
énergétique que l’on soit simple citoyen, fournisseur d’énergie, élu, responsable
associatif... D’ailleurs, les associations œuvrant dans la lutte contre les
exclusions en témoignent. Au travers des missions d’accueil et d’accompagnement
des publics en situation de pauvreté, elles constatent chaque jour les causes
et les effets de la précarité énergétique. Quel bilan peut-on faire à ce sujet,
aujourd’hui, en France ?
Trois
millions quatre cent mille 3,4 ménages sont touchés par la précarité
énergétique, 90% vivent dans le parc privé[1], mais de manière générale
5 millions de familles éprouvent des difficultés à chauffer leur logement en
2010 ! Derrière ces chiffres se cachent une triste réalité, celle de la
précarité énergétique, mais comment peut-on la définir ? Il existe, depuis
peu, en France, une définition précise « toute
personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer
de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins
élémentaires en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses
conditions d’habitat ».
Des effets sur la santé et sur la sécurité des personnes
La
précarité énergétique résulte de trois facteurs principaux qui sont le revenu des
ménages, le prix de l’énergie et l’efficacité des bâtiments. Ces dernières
années, le prix des énergies (électricité, gaz, fioul) a considérablement
augmenté, n’épargnant personne, mais accentuant la tension entre le coût des
énergies et les revenus des ménages les plus modestes. Malheureusement ces
ménages, du fait de leurs faibles revenus, se trouvent souvent dans les
logements les plus énergivores, véritables passoires thermiques - 600 000
logements sont considérés comme des taudis[2], avec pour conséquence des
factures plus lourdes. Selon la Fondation Abbé Pierre, pour les ménages les
plus fragilisées, les charges liées au logement ont doublé en 30 ans, et
atteignent parfois jusqu’à 50% des revenus du foyer.
La
précarité énergétique a de multiples conséquences. Elle impacte directement les
personnes avec des effets sur la santé physique, avec entre autre des problèmes
d’ordre respiratoire tels que bronchites ou asthmes. Elle entraîne des risques
- incendie, intoxication…- quant à la sécurité même des occupants. Par
ailleurs, on peut même parler de surmortalité hivernale. Mais aujourd’hui aucun
indicateur ne nous permet d’évaluer la situation avec précision en France. Au
Royaume Uni, on comptabilise entre 25 000 à 40 000 décès dus à la
précarité énergétique. Pour poursuivre sur les conséquences, comment ne pas
parler de l’impact psychique sur les personnes ? Le logement est un reflet
de soi-même, il met en évidence notre façon de vivre, de penser et notre vision
du monde. Cela peut devenir un frein à la fois à la vie sociale et à la vie
personnelle, jusqu’à l’exclusion sociale.
Autre
impact, le risque de surendettement des familles qui vivent dans ces logements
dégradés et mal isolés, et qui de fait peuvent rencontrer des difficultés à
régler leur facture d’énergie. Il faudrait pouvoir évaluer, dans le cadre du
Fonds de Solidarité Logement, la part des ménages sollicitant des aides à cause
d’une situation de précarité énergétique. Pour conclure sur les conséquences,
les logements concernés par cette problématique sont vétustes, en effet le
bâti, notamment à cause de l’humidité et du manque d’isolation, se dégrade,
même si les personnes chauffent leur logement pour essayer d’atteindre un
certain confort thermique.
Quelles solutions concrètes pour éradiquer la précarité énergétique ?
Il y
a des solutions... La construction de logements à basse consommation
énergétique, notamment pour lutter contre le réchauffement climatique en est
une. A Loos-en-Gohelle, dans le Pas-de-Calais, un lotissement témoin vient de
sortir de terre. Concrètement, les familles devraient voir leur facture
énergétique divisée au moins par trois en comparaison à l’habitat traditionnel
du bassin minier. Ce genre d’initiative, même si à la construction le surcoût
est d’environ 10%, est une solution d’avenir pour notre société, à la condition
qu’elle profite aussi aux foyers ayant des faibles revenus. Une autre
solution... l’autoréhabilation accompagnée conduite par des associations qui
s’engagent aux côtés de ménages en difficulté pour les aider à rénover
eux-mêmes le logement dont ils sont locataires ou propriétaires.
L’autoréhabilation accompagnée requiert une participation du ménage, à hauteur
de 10% du montant des matériaux, le reste étant financé par des partenaires
institutionnels et des fondations[3].
Il
existe d’autres initiatives, allant des formations pour les acteurs de
l’énergie, du logement et de l’action sociale, en passant par des actions de
sensibilisation des ménages, jusqu’à la création d’un fonds social d’aide aux travaux
de maîtrise de l’énergie, qui permettent à la fois d’agir tant sur le préventif
que sur le curatif. Aujourd’hui, toutes ces actions doivent être pleinement
reconnues par les pouvoirs publics, afin de les essaimer aux quatre coins de
l’hexagone.
Enfin,
nous pouvons souligner le programme « Habiter mieux » initié par le
Gouvernement et qui a pour ambition d’aider les familles modestes propriétaires
à réduire leur facture énergétique en les aidant à financer des travaux
d’isolation dans leur logement. Ce programme se met progressivement en place
depuis septembre 2010, et fait l’objet de conventionnement entre l’ANAH et les
collectivités territoriales.
Uriopss Nord Pas-de-Calais
La
conférence nationale précarité énergétique du 15 novembre 2010
19 propositions pour lutter contre
la précarité énergétique
Le
15 novembre 2010 à Lille, EAPN France a organisé une conférence nationale sur
la précarité énergétique. 450 personnes venues de France, mais aussi de
Belgique et d’Allemagne ont participé aux échanges, rythmées par des ateliers.
Cette forte participation, dont 150 personnes en situation de précarité, a
traduit l’intérêt pour ce sujet, qui est devenue une fois couplée à celui du
climat, une véritable question de société. Deux ans de travail, dans le cadre
d’un groupe de pilotage, ont été nécessaires pour construire cette journée.
La
précarité énergétique s’inscrit dans une situation de précarité plus large,
avec la difficulté pour les ménages de faire face aux dépenses et à boucler
leur budget. Les dépenses contraintes sont de plus en plus importantes, alors
que les ressources sont limitées. Les minima sociaux et autres transferts
représentent des revenus inextensibles. EAPN France formule plusieurs propositions
pour lutter contre la précarité énergétique.
Définir un revenu minimum pour vivre
dignement
1.
Relever le niveau des
minimas sociaux pour les rapprocher du seuil de pauvreté.
2.
Limiter le poids des
dépenses contraintes pour les faibles revenus, en particulier au travers de
l’allocation logement et du forfait charges.
3.
Mettre en œuvre la
méthode des budgets de référence citoyens.
Agir sur les tarifs et les aides
4.
Maintenir les tarifs
réglementés.
5.
Rendre automatique
l’attribution des tarifs sociaux et augmenter le seuil de ressources pour en
disposer.
6.
Augmenter le niveau
des tarifs sociaux pour faire faire face à l’augmentation du coût des énergies.
7.
Définir un bouclier
énergétique pour toutes les formes d’énergies.
8.
Rendre obligatoire la
participation financière de tous les opérateurs d’énergie au Fonds de
Solidarité Logement (FSL).
9.
Garantir l’équité du
Fonds Solidarité Logement entre les départements.
10. Aider à l’isolation thermique en développant les aides
financières.
11. Etablir des relevés de consommation rapprochés, la première
année après l’emménagement pour les bénéficiaires des tarifs sociaux et des
personnes ayant bénéficié d’aides FSL.
Agir sur les modes de comportements
12. Savoir mobiliser les compétences et les expériences
acquises par les personnes, afin de sensibiliser d’autres publics.
13. Améliorer la lisibilité et la compréhension des factures et
des informations.
14. Promouvoir la mise en situation au travers de logements
témoins, d’expositions, de réunions... afin de tisser du lien social et de
développer l’apprentissage.
Mettre en œuvre des solutions
techniques coordonnées et adaptées aux ménages
Même
lorsque les ménages ont pleinement conscience de leur situation, ils ne savent
généralement pas vers quel acteur se tourner et ne connaissent pas la nature
des aides dont ils peuvent bénéficier. De plus, il semblerait que les aides aux
travaux ne soient pas dirigées vers les bonnes cibles. En effet, il n’existe aucune
aide aux travaux pour les locataires ou pour les propriétaires occupants
insolvables, dans l’impossibilité de s’acquitter du reste à charge.
15. Développer des moyens financiers pour les locataires et les
propriétaires occupants, afin d’apporter une aide aux travaux.
16. Empêcher la mise sur le marché de logements énergivores.
17. Coordonner le montage des dossiers d’aides, en créant
« un guichet unique ».
Inventer une nouvelle gouvernance en
y associant les citoyens
Dans
le cas de la gouvernance, il semble important que les personnes en situation de
précarité énergétique puissent participer aux réflexions sur les projets. En
effet, différentes expériences ont prouvé que ces ménages étaient en mesure de
fournir une véritable plus-value.
Pour
plus de cohérence, il est nécessaire que des dispositions législatives
cohérentes soient prises à tous les niveaux, de l’échelle locale à l’échelle
européenne pour lutter contre la précarité énergétique et intégrer la
participation citoyenne. Il conviendra par ailleurs de mutualiser les bonnes
pratiques, de faciliter les partenariats et le travail en réseau et d’améliorer
la transférabilité des expériences.
18. Créer des espaces d’écoute et de propositions avec des
« experts du vécu », c’est-à-dire des personnes qui connaissent la
précarité énergétique.
19. Améliorer la transférabilité des expériences à tous les
échelons.
Les chantiers à
venir
Différents
chantiers doivent encore être explorés. Il faudra travailler autrement en
s’appuyant sur la pratique et les expériences des personnes, en transférant et
en généralisant les expériences réussies, et en mobilisant plus collectivement
tous les acteurs. Par ailleurs, il sera important de se pencher sur les
dispositifs d’aides et les minimas sociaux. Il conviendra de s’intéresser par exemple aux barèmes des
aides ou à l’inscription du droit à l’énergie. A plus long terme, il sera
nécessaire de s’intéresser à une nouvelle manière d’appréhender le revenu
minimum. De plus, le chantier de l’information devra être envisagé, de la
simplification des factures à la lisibilité des aides à destination de
l’habitat. Ce travail impose d’intégrer les personnes à la démarche et
d’organiser un véritable travail entre les acteurs. Pour finir, il faudra
mettre en place des politiques plus ambitieuses pour l’amélioration du parc. A
la suite du Grenelle II, il existe des programmes, qui sont prioritairement
destinés aux propriétaires occupants. Qu’en
est-il du parc locatif privé ?
Un
certain nombre de chantiers reste en suspens. La dynamique est à poursuivre...
Uriopss Nord Pas-de-Calais
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