mercredi 4 janvier 2012

Précarité énergétique : nouvel enjeu social (juin 2011)



France
European Anti-Poverty Network


La lutte contre la précarité énergétique
un nouvel enjeu social


Il est difficile, voire impossible, de ne pas être confronté directement ou indirectement à la précarité énergétique que l’on soit simple citoyen, fournisseur d’énergie, élu, responsable associatif... D’ailleurs, les associations œuvrant dans la lutte contre les exclusions en témoignent. Au travers des missions d’accueil et d’accompagnement des publics en situation de pauvreté, elles constatent chaque jour les causes et les effets de la précarité énergétique. Quel bilan peut-on faire à ce sujet, aujourd’hui, en France ?


Trois millions quatre cent mille 3,4 ménages sont touchés par la précarité énergétique, 90% vivent dans le parc privé[1], mais de manière générale 5 millions de familles éprouvent des difficultés à chauffer leur logement en 2010 ! Derrière ces chiffres se cachent une triste réalité, celle de la précarité énergétique, mais comment peut-on la définir ? Il existe, depuis peu, en France, une définition précise « toute personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ».


Des effets sur la santé et sur la sécurité des personnes

La précarité énergétique résulte de trois facteurs principaux qui sont le revenu des ménages, le prix de l’énergie et l’efficacité des bâtiments. Ces dernières années, le prix des énergies (électricité, gaz, fioul) a considérablement augmenté, n’épargnant personne, mais accentuant la tension entre le coût des énergies et les revenus des ménages les plus modestes. Malheureusement ces ménages, du fait de leurs faibles revenus, se trouvent souvent dans les logements les plus énergivores, véritables passoires thermiques - 600 000 logements sont considérés comme des taudis[2], avec pour conséquence des factures plus lourdes. Selon la Fondation Abbé Pierre, pour les ménages les plus fragilisées, les charges liées au logement ont doublé en 30 ans, et atteignent parfois jusqu’à 50% des revenus du foyer.

La précarité énergétique a de multiples conséquences. Elle impacte directement les personnes avec des effets sur la santé physique, avec entre autre des problèmes d’ordre respiratoire tels que bronchites ou asthmes. Elle entraîne des risques - incendie, intoxication…- quant à la sécurité même des occupants. Par ailleurs, on peut même parler de surmortalité hivernale. Mais aujourd’hui aucun indicateur ne nous permet d’évaluer la situation avec précision en France. Au Royaume Uni, on comptabilise entre 25 000 à 40 000 décès dus à la précarité énergétique. Pour poursuivre sur les conséquences, comment ne pas parler de l’impact psychique sur les personnes ? Le logement est un reflet de soi-même, il met en évidence notre façon de vivre, de penser et notre vision du monde. Cela peut devenir un frein à la fois à la vie sociale et à la vie personnelle, jusqu’à l’exclusion sociale.

Autre impact, le risque de surendettement des familles qui vivent dans ces logements dégradés et mal isolés, et qui de fait peuvent rencontrer des difficultés à régler leur facture d’énergie. Il faudrait pouvoir évaluer, dans le cadre du Fonds de Solidarité Logement, la part des ménages sollicitant des aides à cause d’une situation de précarité énergétique. Pour conclure sur les conséquences, les logements concernés par cette problématique sont vétustes, en effet le bâti, notamment à cause de l’humidité et du manque d’isolation, se dégrade, même si les personnes chauffent leur logement pour essayer d’atteindre un certain confort thermique.


Quelles solutions concrètes pour éradiquer la précarité énergétique ?

Il y a des solutions... La construction de logements à basse consommation énergétique, notamment pour lutter contre le réchauffement climatique en est une. A Loos-en-Gohelle, dans le Pas-de-Calais, un lotissement témoin vient de sortir de terre. Concrètement, les familles devraient voir leur facture énergétique divisée au moins par trois en comparaison à l’habitat traditionnel du bassin minier. Ce genre d’initiative, même si à la construction le surcoût est d’environ 10%, est une solution d’avenir pour notre société, à la condition qu’elle profite aussi aux foyers ayant des faibles revenus. Une autre solution... l’autoréhabilation accompagnée conduite par des associations qui s’engagent aux côtés de ménages en difficulté pour les aider à rénover eux-mêmes le logement dont ils sont locataires ou propriétaires. L’autoréhabilation accompagnée requiert une participation du ménage, à hauteur de 10% du montant des matériaux, le reste étant financé par des partenaires institutionnels et des fondations[3].
Il existe d’autres initiatives, allant des formations pour les acteurs de l’énergie, du logement et de l’action sociale, en passant par des actions de sensibilisation des ménages, jusqu’à la création d’un fonds social d’aide aux travaux de maîtrise de l’énergie, qui permettent à la fois d’agir tant sur le préventif que sur le curatif. Aujourd’hui, toutes ces actions doivent être pleinement reconnues par les pouvoirs publics, afin de les essaimer aux quatre coins de l’hexagone.
Enfin, nous pouvons souligner le programme « Habiter mieux » initié par le Gouvernement et qui a pour ambition d’aider les familles modestes propriétaires à réduire leur facture énergétique en les aidant à financer des travaux d’isolation dans leur logement. Ce programme se met progressivement en place depuis septembre 2010, et fait l’objet de conventionnement entre l’ANAH et les collectivités territoriales.

Uriopss Nord Pas-de-Calais


La conférence nationale précarité énergétique du 15 novembre 2010

19 propositions pour lutter contre la précarité énergétique

Le 15 novembre 2010 à Lille, EAPN France a organisé une conférence nationale sur la précarité énergétique. 450 personnes venues de France, mais aussi de Belgique et d’Allemagne ont participé aux échanges, rythmées par des ateliers. Cette forte participation, dont 150 personnes en situation de précarité, a traduit l’intérêt pour ce sujet, qui est devenue une fois couplée à celui du climat, une véritable question de société. Deux ans de travail, dans le cadre d’un groupe de pilotage, ont été nécessaires pour construire cette journée.



La précarité énergétique s’inscrit dans une situation de précarité plus large, avec la difficulté pour les ménages de faire face aux dépenses et à boucler leur budget. Les dépenses contraintes sont de plus en plus importantes, alors que les ressources sont limitées. Les minima sociaux et autres transferts représentent des revenus inextensibles. EAPN France formule plusieurs propositions pour lutter contre la précarité énergétique.

Définir un revenu minimum pour vivre dignement

1.     Relever le niveau des minimas sociaux pour les rapprocher du seuil de pauvreté.
2.     Limiter le poids des dépenses contraintes pour les faibles revenus, en particulier au travers de l’allocation logement et du forfait charges.
3.     Mettre en œuvre la méthode des budgets de référence citoyens.

Agir sur les tarifs et les aides

4.     Maintenir les tarifs réglementés.
5.     Rendre automatique l’attribution des tarifs sociaux et augmenter le seuil de ressources pour en disposer.
6.     Augmenter le niveau des tarifs sociaux pour faire faire face à l’augmentation du coût des énergies.
7.     Définir un bouclier énergétique pour toutes les formes d’énergies.
8.     Rendre obligatoire la participation financière de tous les opérateurs d’énergie au Fonds de Solidarité Logement (FSL).
9.     Garantir l’équité du Fonds Solidarité Logement entre les départements.
10.  Aider à l’isolation thermique en développant les aides financières.
11.  Etablir des relevés de consommation rapprochés, la première année après l’emménagement pour les bénéficiaires des tarifs sociaux et des personnes ayant bénéficié d’aides FSL.

Agir sur les modes de comportements

12.  Savoir mobiliser les compétences et les expériences acquises par les personnes, afin de sensibiliser d’autres publics.
13.  Améliorer la lisibilité et la compréhension des factures et des informations.
14.  Promouvoir la mise en situation au travers de logements témoins, d’expositions, de réunions... afin de tisser du lien social et de développer l’apprentissage.

Mettre en œuvre des solutions techniques coordonnées et adaptées aux ménages

Même lorsque les ménages ont pleinement conscience de leur situation, ils ne savent généralement pas vers quel acteur se tourner et ne connaissent pas la nature des aides dont ils peuvent bénéficier. De plus, il semblerait que les aides aux travaux ne soient pas dirigées vers les bonnes cibles. En effet, il n’existe aucune aide aux travaux pour les locataires ou pour les propriétaires occupants insolvables, dans l’impossibilité de s’acquitter du reste à charge.

15.  Développer des moyens financiers pour les locataires et les propriétaires occupants, afin d’apporter une aide aux travaux.
16.  Empêcher la mise sur le marché de logements énergivores.
17.  Coordonner le montage des dossiers d’aides, en créant « un guichet unique ».

Inventer une nouvelle gouvernance en y associant les citoyens

Dans le cas de la gouvernance, il semble important que les personnes en situation de précarité énergétique puissent participer aux réflexions sur les projets. En effet, différentes expériences ont prouvé que ces ménages étaient en mesure de fournir une véritable plus-value.

Pour plus de cohérence, il est nécessaire que des dispositions législatives cohérentes soient prises à tous les niveaux, de l’échelle locale à l’échelle européenne pour lutter contre la précarité énergétique et intégrer la participation citoyenne. Il conviendra par ailleurs de mutualiser les bonnes pratiques, de faciliter les partenariats et le travail en réseau et d’améliorer la transférabilité des expériences.

18.  Créer des espaces d’écoute et de propositions avec des « experts du vécu », c’est-à-dire des personnes qui connaissent la précarité énergétique.
19.  Améliorer la transférabilité des expériences à tous les échelons.

Les chantiers à venir

Différents chantiers doivent encore être explorés. Il faudra travailler autrement en s’appuyant sur la pratique et les expériences des personnes, en transférant et en généralisant les expériences réussies, et en mobilisant plus collectivement tous les acteurs. Par ailleurs, il sera important de se pencher sur les dispositifs d’aides et les minimas sociaux. Il conviendra de s’intéresser par exemple aux barèmes des aides ou à l’inscription du droit à l’énergie. A plus long terme, il sera nécessaire de s’intéresser à une nouvelle manière d’appréhender le revenu minimum. De plus, le chantier de l’information devra être envisagé, de la simplification des factures à la lisibilité des aides à destination de l’habitat. Ce travail impose d’intégrer les personnes à la démarche et d’organiser un véritable travail entre les acteurs. Pour finir, il faudra mettre en place des politiques plus ambitieuses pour l’amélioration du parc. A la suite du Grenelle II, il existe des programmes, qui sont prioritairement destinés aux propriétaires occupants. Qu’en est-il du parc locatif privé ?

Un certain nombre de chantiers reste en suspens. La dynamique est à poursuivre...

Uriopss Nord Pas-de-Calais





Cette conférence a été organisée par le réseau EAPN France et est le fruit d’un travail partenarial :

ADEME, ATD Quart Monde, CLCV, CLER, Collectif RAPPEL, FAPIL, EDF, Fondation Abbé Pierre, GDF Suez, JAVEL, Les Petits Frères des Pauvres, Partenord Habitat, Secours Catholique, UNAF, Union Sociale pour l’Habitat, Uriopss Champagne Ardenne, Uriopss Nord - Pas-de-Calais

 
 


[1] Source INSEE 2006
[2] Source : Fondation Abbé Pierre
[3] Source ADEME

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